Comprendre le phénomène des drogues en Europe en 2024 – principales évolutions (Rapport européen sur les drogues 2024)

La dernière analyse du phénomène des drogues en Europe menée par l’EMCDDA décrit un marché robuste et influencé par les évolutions observables à l’échelle mondiale. La persistance des problèmes de santé et de sécurité posés par les drogues illicites traditionnelles ou plus récentes, et de plus en plus, l’interaction entre ces dernières, créent un contexte politique difficile pour l’élaboration et la mise en œuvre de réponses efficaces. Le Rapport européen sur les drogues 2024 offre un aperçu de la situation en matière de drogues en Europe à partir des dernières données disponibles. Cette partie introductive fournit un bref commentaire analytique à propos de certaines questions importantes figurant actuellement à l’ordre du jour de la politique européenne en matière de drogues.
Cette page fait partie du Rapport européen sur les drogues 2024, l’aperçu annuel de la situation en matière de drogues en Europe publié par l’EMCDDA.
Dernière mise à jour: 11 juin 2024
PARTOUT, TOUT, TOUS
Répondre à l’évolution des problèmes de drogues en Europe
L’un des principaux messages de l’analyse du Rapport européen sur les drogues 2024 est que l’incidence de la consommation des drogues illicites est désormais observée presque partout dans notre société. Presque toute substance avec des propriétés psychoactives est susceptible d’être utilisée comme une drogue. Cela signifie que tout le monde peut être touché, que ce soit directement ou indirectement, par l’usage de drogues illicites et les problèmes qui y sont associés.
Partout

Aujourd’hui, les incidences des problèmes liés aux drogues sont observables presque partout. Au niveau national, ils se manifestent et exacerbent d’autres problèmes de politique complexes, tels que le sans-abrisme, la gestion des troubles psychiatriques et la criminalité juvénile. On observe également dans certains pays une montée des violences et de la corruption liées au marché des drogues. À l’échelle internationale, les problèmes de drogue se multiplient dans de nombreux pays à faibles ou moyens revenus, ce qui nuit à la gouvernance et au développement et accentue les défis déjà considérables en matière de santé et de sécurité publique auxquels de nombreux pays sont confrontés.
Tout

Nous constatons de plus en plus souvent que presque tous les produits ayant des propriétés psychoactives peuvent apparaître sur le marché des drogues, souvent sous des étiquettes trompeuses ou dans des mélanges, de sorte que les personnes qui utilisent ces substances peuvent ignorer ce qu’elles consomment, ce qui augmente les risques pour la santé et crée de nouveaux défis en matière de répression et de réglementation.
Tous

L’incidence des évolutions observées montre que tout le monde est susceptible d’être touché d’une manière ou d’une autre par l’usage de drogues illicites, le fonctionnement du marché des drogues et les problèmes qui y sont associés. Cela se remarque de manière directe chez celles et ceux qui développent des problèmes de drogue et nécessitent un traitement ou d’autres services. Et cela se remarque indirectement par le recrutement de jeunes vulnérables par des groupes criminels, la pression sur les budgets de santé et les coûts sociaux pour les communautés qui ne se sentent pas en sécurité ou dans lesquelles les institutions ou les entreprises sont minées par la corruption ou des pratiques criminelles.
L’Agence de l’Union européenne sur les drogues: renforcer la capacité de l’Europe à réagir efficacement à un phénomène des drogues plus complexe et en rapide mutation

Depuis la création de l’EMCDDA en 1993, l’ampleur et la nature du phénomène des drogues ont considérablement évolué. Afin de relever les nouveaux défis posés par les problématiques contemporaines liées aux drogues, le mandat de l’Agence a été révisé. Aussi, le 2 juillet 2024, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies deviendra l’Agence de l’Union européenne sur les drogues (EUDA).
L’EUDA soutiendra l’Union européenne et ses États membres en améliorant et en élargissant notre surveillance de la consommation et des problèmes liés aux drogues, en renforçant notre préparation à identifier les nouvelles menaces et à réagir à ces dernières, et en investissant dans le développement des compétences. Ces actions contribueront à la mise en œuvre de meilleures interventions dans les domaines de la santé et de la sécurité.
L’EUDA fournira des services dans quatre domaines qui se recoupent: anticiper les nouveaux défis et ceux à venir, repérer et émettre des alertes sur les risques émergents et les menaces liées aux drogues, évaluer les besoins et les réponses disponibles, et aider les parties prenantes en évaluant et en diffusant les nouvelles connaissances et les bonnes pratiques.
La collecte, l’analyse et la diffusion des données continueront d’être des tâches essentielles pour l’EUDA. Elles seront en outre complétées par de nouvelles compétences. Il s’agit notamment d’investir davantage dans la compréhension des problèmes découlant de la polyconsommation de drogues et dans la réponse à y apporter, ainsi que de renforcer la capacité d’analyse au travers de la mise en place d’un nouveau réseau de laboratoires d’analyses médico-légales et toxicologiques. L’EUDA mettra au point un nouveau système européen d’alerte en matière de drogues afin d’élargir les travaux actuels du système d’alerte précoce sur les nouvelles substances psychoactives et de le compléter par de nouvelles capacités d’évaluation des menaces pour la santé et la sécurité. Des investissements plus conséquents seront également consacrés à l’identification des lacunes et des besoins en matière de recherche, et des exercices réguliers d’anticipation et d’analyse permettront à l’UE d’être mieux préparée à répondre aux futurs défis associés aux drogues. L’EUDA continuera de collaborer étroitement avec le réseau Reitox des points focaux nationaux sur les drogues, dont le rôle sera renforcé. Une aide sera apportée à l’évaluation et à l’élaboration de politiques fondées sur des données scientifiquement validées, et l’Agence sera en capacité d’investir davantage dans la réponse aux besoins politiques à l’échelle de l’UE dans le cadre de ses activités. L’Agence sera également en mesure de faire davantage pour développer et promouvoir des interventions et des bonnes pratiques fondées sur des données scientifiquement validées, de jouer un rôle plus important sur la scène internationale et de soutenir l’Union européenne dans sa politique en matière de drogue sur un plan multilatéral.
La situation en matière de drogues en Europe en 2024: vue d’ensemble
Forte disponibilité d’un plus large éventail de substances souvent plus puissantes

Une analyse des indicateurs liés à l’offre des drogues illicites couramment consommées dans l’Union européenne suggère que la disponibilité reste élevée pour quasiment tous les types de substances. Qui plus est, les informations disponibles suggèrent que le marché se caractérise désormais par la disponibilité généralisée d’un éventail plus large de drogues que par le passé, les substances disponibles étant souvent plus puissantes ou plus pures ou apparaissant sous de nouvelles formes, dans de nouveaux mélanges ou en nouvelles combinaisons. Il s’agit notamment de substances d’un nouveau genre, pour lesquelles tant les connaissances des consommateurs que les connaissances scientifiques relatives aux risques sanitaires peuvent être limitées. Les formes sous lesquelles les substances peuvent être disponibles sur le marché et, dans certains cas (celui du cannabis par exemple), leurs modes d’administration (avec l’apparition de produits comestibles et de diverses formes de technologies de vapotage) sont de plus en plus variés. Ces évolutions suscitent des inquiétudes quant à la possible hausse des risques associés à certaines substances. Plus particulièrement, les personnes qui consomment des drogues peuvent être exposées à un risque plus grand de problèmes de santé, dont d’éventuelles intoxications mortelles, en consommant, peut-être à leur insu, des substances plus puissantes ou d’un genre plus nouveau.
Le ciblage d’une infrastructure commerciale est lié à la forte disponibilité des drogues

Dans le cas des substances faisant l’objet d’un trafic dans l’Union européenne, la capacité des groupes criminels à exploiter les possibilités offertes par les infrastructures modernes de transport commercial est un facteur important de disponibilité accrue. Près de 70 % des saisies de drogues par les autorités douanières sont réalisées dans les ports de l’Union européenne, des quantités importantes de drogues, notamment de cocaïne, étant détectées dans des conteneurs de transport intermodal. À titre d’exemple, en 2023, l’Espagne a déclaré sa plus grande saisie de cocaïne jamais enregistrée en une seule cargaison, avec 9,5 tonnes de drogue dissimulées dans des bananes en provenance d’Équateur. Les grands ports de Belgique et des Pays-Bas sont aussi régulièrement ciblés par les organisations de trafiquants, et l’on craint que les ports d’envergure plus petite situés ailleurs en Europe ne soient de plus en plus menacés.
Les méthodes utilisées par les groupes criminels opérant dans ce domaine sont devenues de plus en plus sophistiquées, avec des exemples bien établis d’infiltration des chaînes d’approvisionnement et d’exploitation du personnel clé par l’intimidation et la corruption. En réponse à cette situation, la feuille de route 2023 de l’UE en matière de lutte contre le trafic de drogue comprend des mesures visant à renforcer la gestion des risques douaniers et la détection des drogues et précurseurs de drogues faisant l’objet d’un trafic. Il s’agit notamment d’encourager le déploiement de matériel avancé pour scanner les conteneurs et d’accroître l’interopérabilité des systèmes d’information des douanes de l’UE. La feuille de route soutient également l’alliance des ports européens nouvellement mise en place, un partenariat public-privé, qui comprend des actions visant à accroître la résilience des principaux centres logistiques européens face au trafic de drogue et à l’infiltration par des groupes criminels organisés.
Les préoccupations d’ordre politique s’intensifient vis-à-vis de la violence liée à la drogue et de l’exploitation des mineurs

En raison de la grande disponibilité des drogues, du trafic à grande échelle et de la concurrence entre les groupes criminels en Europe, il est de plus en plus à craindre que certains pays connaissent une hausse de la violence et d’autres formes de criminalité associées au fonctionnement du marché des drogues. Historiquement, ce sont les pays producteurs et les pays de transit situés en dehors de l’Union européenne qui supportent le plus lourd fardeau de la criminalité violente associée au marché des drogues, et tel est toujours le cas. Toutefois, en Europe, et plus particulièrement dans les pays où l’on sait que d’importants volumes de drogues entrent ou sont produits, les niveaux de violence associés au commerce de drogues semblent augmenter. Parallèlement, le recrutement et l’exploitation de mineurs par les réseaux criminels impliqués dans le commerce illicite de drogues suscitent également des inquiétudes croissantes. Cela se reflète dans l’importance accrue que les services répressifs accordent à la lutte contre ces menaces. À ce jour, il est difficile de suivre les tendances et les évolutions de la criminalité liée à la drogue au niveau européen. En réponse, l’EMCDDA a investi dans l’amélioration des outils de surveillance utilisés dans ce domaine, comme en témoignent les récents travaux visant à mettre au point un indicateur des homicides liés aux drogues. L’EUDA, en étroite collaboration avec Europol et la Commission européenne, investira davantage dans ce domaine à l’avenir, dans la mesure où l’obtention d’informations fiables constituera probablement une condition préalable à la conception de stratégies d’intervention efficaces pour lutter contre la violence, la corruption et l’exploitation criminelle, lesquelles sont de plus en plus associées au fonctionnement de certains marchés européens de la drogue contemporains.
La polyconsommation et la vente abusive de stupéfiants augmentent les risques pour la santé

La polyconsommation désigne la consommation, simultanée ou successive, de deux ou plusieurs substances psychoactives, licites ou illicites. Un problème connexe réside dans le fait que des substances contenant une ou plusieurs autres drogues en plus de celle à laquelle l’acheteur s’attendait peuvent être vendues, soit mélangées à la substance qu’il avait l’intention d’acheter, soit en remplacement de cette dernière. Cela signifie qu’il est possible que les consommateurs ne soient pas conscients de la substance ou des substances qu’ils consomment réellement. La consommation combinée de drogues peut accroître le risque de problèmes de santé et compliquer la mise en œuvre d’interventions efficaces, ce qui s’avère problématique par exemple dans la lutte contre les intoxications aiguës.
L’un des messages clés du Rapport européen sur les drogues cette année est que la polyconsommation est courante chez les consommateurs de substances psychoactives, or, ce type de consommation peut accroître les risques de graves problèmes de santé. Les défis dans ce domaine semblent également se multiplier. Cela s’explique en partie par l’intégration accrue sur le marché des drogues illicites bien implantées et de nouvelles substances psychoactives, et en partie par la plus grande disponibilité et la consommation accrue de substances de synthèse. Les préoccupations en la matière concernent les produits à base de cannabis frelatés avec des cannabinoïdes de synthèse, les produits vendus comme MDMA/ecstasy, mais parfois frelatés avec des cathinones de synthèse, et l’apparition d’opioïdes de synthèse très puissants mélangés à d’autres substances ou vendus de manière abusive comme d’autres substances. Il est également important de noter que la consommation combinée d’alcool et de drogues illicites peut aussi accroître les risques pour la santé, par exemple lorsque l’alcool est combiné à de la cocaïne, à des opioïdes ou à des benzodiazépines nouvelles ou «illicites».
De nouvelles sources de données médico-légales, toxicologiques et innovantes sont nécessaires

L’une des difficultés rencontrées dans le domaine de la surveillance des drogues en 2024 consiste à mieux comprendre quelles drogues sont effectivement consommées et selon quelles combinaisons. L’amélioration de la surveillance des tendances de polyconsommation et l’amélioration de notre compréhension de ce qui constitue des interventions efficaces dans ce domaine seront donc des priorités pour les travaux futurs de l’EUDA. L’amélioration des sources de données toxicologiques et médico-légales et des données produites constituera un élément essentiel pour mieux comprendre quelles substances sont vendues sur le marché et quelles drogues ou combinaisons de drogues sont particulièrement associées à des effets néfastes. Par ailleurs, l’EUDA continuera d’investir dans le développement de nouvelles sources de données susceptibles de fournir une image plus détaillée des habitudes de consommation de drogues, telles que les données des services de dépistage des drogues ou des études de suivi des seringues. Par exemple, de multiples substances sont couramment détectées dans des seringues usagées collectées dans les lieux d’échange de seringues; il s’agit souvent de stimulants et d’opioïdes, ce qui suggère que ces catégories de drogues sont couramment consommées ensemble dans les villes européennes.
Répondre à un ensemble de besoins plus diversifiés et plus complexes
Soutenir la mise en œuvre de mesures de prévention de la consommation de substances fondées sur des données scientifiquement validées

La prévention de la consommation de substances vise à empêcher l’usage de substances psychoactives ou à le retarder. Elle peut également aider les personnes qui ont commencé à consommer des substances à éviter de développer des troubles causés par leur consommation. Cependant, toutes les approches utilisées dans ce domaine ne se sont pas révélées efficaces, et l’intérêt pour l’identification et la mise en œuvre de programmes de prévention s’appuyant sur des données scientifiquement validées s’est accru. La réalisation de cet objectif est désormais soutenue par la mise en place de registres de programmes de prévention, d’initiatives de formation et l’élaboration de normes de qualité. Le Programme européen de formation en matière de prévention est conçu pour améliorer l’efficacité globale des efforts de prévention. Plus de 25 États membres de l’UE et pays voisins disposent désormais de formateurs nationaux du Programme européen de formation en matière de prévention. Les efforts de prévention sont également soutenus par Xchange, un registre européen en ligne répertoriant les actions de prévention évaluées. Bien que des outils de qualité soient disponibles pour aider à identifier les programmes susceptibles d’être efficaces, dans de nombreux pays, on constate encore soit un manque d’investissements dans les travaux de prévention, soit une utilisation inefficace des ressources, les investissements étant réalisés dans des programmes dont l’efficacité n’a pas été solidement étayée.
La diversité des substances injectées augmente les risques pour la santé

Garantir une réponse efficace et globale à l’intention des usagers de drogues par voie injectable en Europe reste un enjeu clé en termes de politiques et de pratiques aux fins de réduire les préjudices liés à cet usage. Les défis dans ce domaine deviennent toutefois de plus en plus complexes: en effet, les données rapportées ici mettent en évidence la diversité croissante des substances injectées en Europe et le risque accru pouvant être engendré par cette diversité.
Les usagers de drogues par voie intraveineuse sont souvent plus exposés aux risques d’effets néfastes, tels que le risque de contracter des infections transmises par le sang ou de mourir d’une surdose, que ceux qui utilisent d’autres voies d’administration. La consommation de drogues injectables peut également exacerber des problèmes de santé préexistants ou provoquer des abcès, des septicémies et des lésions nerveuses. Si la consommation de drogues par injection a continué de diminuer en Europe au cours des dix dernières années, elle représente toujours une part démesurée des effets aigus et chroniques pour la santé résultant de la consommation de substances.
Historiquement, l’héroïne est la principale drogue injectée en Europe, mais les données sur les résidus de seringues rapportées ici illustrent à quel point les habitudes d’injection sont devenues variables et complexes. Un large éventail de drogues, dont les amphétamines, la cocaïne, les cathinones de synthèse, les traitements par agonistes opioïdes, d’autres médicaments et tout un panel de nouvelles substances psychoactives, sont désormais détectées dans les résidus de seringues, souvent en combinaison, ce qui accroît potentiellement le risque de surdose. Les études de suivi des seringues étayent d’autres données suggérant que l’injection de stimulants, en particulier, est devenue plus courante chez les usagers des drogues par injection. Cela se révèle préoccupant, en ce sens que l’injection de stimulants est associée à la fois à des injections plus fréquentes et à un certain nombre de flambées locales de VIH signalées en Europe au cours de ces dix dernières années. Des poussées épidémiques locales de l’infection au VIH liées à l’injection de stimulants continuent d’être signalées dans les données les plus récentes, lesquelles font état d’un foyer à Monza, en Italie, en 2022.
Les approches de réduction des risques sont désormais considérées comme fondamentales pour réduire la transmission du VIH parmi les usagers de drogues par injection, notamment la fourniture de matériel d’injection stérile, y compris dans les prisons et les pharmacies. Cependant, une fois encore, notre analyse indique que la couverture et l’accès aux programmes gratuits d’échange de seringues restent inadaptés dans de nombreux pays de l’UE.
Les cas de VIH recensés reviennent aux niveaux antérieurs à la pandémie

Alors que les nouvelles infections au VIH liées à la consommation de drogues injectables ont diminué dans l’Union européenne sur le long terme, plus de la moitié des pays ayant communiqué des données ont observé une augmentation des nouveaux cas recensés en 2022 par rapport à 2021. En 2022, le nombre de nouveaux cas de VIH liés à la consommation de drogues injectables dans l’Union européenne est de 968, contre 662 l’année précédente, revenant ainsi à un niveau similaire à celui observé en 2019. Cette hausse peut en partie refléter l’accroissement des taux de dépistage du VIH à la suite de la levée des restrictions liées à la COVID-19 et du retour à la normale de l’activité des services de santé, y compris en matière de dépistage du VIH. Suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un autre facteur contributif éventuel est le déplacement entre pays européens des personnes ayant reçu un diagnostic de VIH. Quelle qu’en soit la cause, ce constat mérite un examen plus approfondi, dans la mesure où toute modification de la tendance à la baisse à long terme dans cet ensemble de données serait préoccupante. En outre, bien que l’Union européenne se compare favorablement à de nombreuses autres régions du monde, la réduction de 38 % des nouveaux cas de VIH depuis 2010 est inférieure à l’objectif de réduction de 75 % fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce qui indique qu’il reste encore beaucoup à faire pour éliminer la transmission du VIH liée aux drogues en Europe.
Des signes indiquent que la kétamine est de plus en plus disponible et peut causer des effets néfastes

Une partie de la mission de la nouvelle EUDA consistera à étendre sa capacité de surveillance au suivi de nouvelles substances qui ne ressortent actuellement pas suffisamment dans les données de routine. La kétamine en est un bon exemple: les données disponibles sont limitées, mais suggèrent que cette drogue est probablement disponible de manière régulière sur certains marchés nationaux et qu’elle est peut-être devenue une drogue de choix dans certains contextes. Cependant, malgré des données anecdotiques selon lesquelles la kétamine est largement utilisée par certains groupes de jeunes, nous ne comprenons pas bien les habitudes de consommation de cette substance.
Si elle n’est pas nécessairement représentative au niveau européen, la quantité de kétamine saisie et communiquée au système d’alerte précoce de l’UE sur les nouvelles substances psychoactives a évolué au fil du temps, mais demeure à des niveaux relativement élevés, les saisies signalées étant passées d’un peu moins de 1 tonne en 2021 à 2,8 tonnes en 2022. Si l’on suppose que la majeure partie de la kétamine saisie en Europe provient d’Inde, le Pakistan et la Chine pourraient également constituer des pays pourvoyeurs.
La kétamine peut être utilisée seule ou associée à d’autres substances. En 2022, les données émanant des services d’urgence des hôpitaux participant au réseau Euro-DEN Plus indiquaient que la cocaïne était la substance la plus fréquemment mentionnée en combinaison avec la kétamine dans les cas de toxicité aiguë.
Généralement sniffée, la kétamine peut aussi être injectée. Elle a été associée à divers effets néfastes aigus ou chroniques selon la dose, notamment à une toxicité neurologique et cardiovasculaire, à des troubles de la santé mentale et à des complications urologiques, telles que des lésions de la vessie causées par une consommation intensive ou par la présence d’adultérants. À ce jour, notre compréhension des liens entre cette drogue et des effets néfastes importants en Europe reste limitée. De solides arguments plaident cependant en faveur d’une meilleure surveillance de l’usage de la kétamine et des risques afférents.
La «cocaïne rose»: un exemple de nouveaux mélanges de drogues de synthèse apparu sur le marché de l’UE

La kétamine peut également être ajoutée à d’autres mélanges de drogues, y compris à des poudres ou des comprimés de MDMA/ecstasy, ce qui augmente potentiellement le risque de consommation involontaire. Les mélanges vendus sous le nom de «cocaïne rose» peuvent également contenir de la kétamine. Si ce produit pénètre aujourd’hui dans certaines régions du marché des drogues de l’UE, il est déjà bien établi en Amérique latine, où il contient souvent la substance 2CB, d’où son nom de rue alternatif «tucibi». Toutefois, en Europe, toute une gamme de substances de synthèse, dont de la kétamine et de la MDMA/ecstasy, ont été retrouvées dans ce produit qui se remarque à sa couleur vive. À bien des égards, la cocaïne rose constitue un parfait exemple de la commercialisation plus sophistiquée des substances de synthèse auprès des consommateurs, lesquels ne maîtrisent souvent pas vraiment les produits chimiques qu’ils consomment réellement.
La réponse de l’Europe au cannabis
La nécessité de mieux comprendre quelles sont les réponses les plus efficaces pour traiter les problèmes liés au cannabis

Le cannabis reste la drogue illicite la plus couramment utilisée dans l’Union européenne, avec une prévalence d’environ cinq fois celle de l’autre substance la plus proche (schéma En bref). La consommation de cannabis est associée à une série de troubles de la santé physique et mentale. L’initiation précoce, la consommation régulière et de long terme ainsi que la consommation à dose élevée sont autant de facteurs qui augmenteraient les risques. Toutefois, il s’avère nécessaire de mieux comprendre les types de problèmes rencontrés par les usagers de cannabis, ainsi que ce qui pourrait constituer des parcours de soins appropriés et des options de traitement efficaces pour les personnes qui sollicitent de l’aide pour traiter leur consommation de cannabis. Le cannabis représente plus d’un tiers de l’ensemble des admissions en traitement pour usage de drogue signalées en Europe. Ce constat est difficile à interpréter, en partie en raison de la grande diversité des interventions proposée aux usagers de cannabis, parmi lesquelles des interventions brèves ou des demandes de traitement pouvant émaner du système judiciaire pénal. D’autres travaux doivent être menés pour mieux comprendre les types de services proposés aux personnes souffrant de problèmes liés au cannabis. Les informations disponibles suggèrent toutefois que des traitements psychosociaux, tels que la thérapie cognitivo-comportementale, sont couramment proposés et que les interventions de santé en ligne deviennent de plus en plus accessibles.
L’évaluation du risque d’effets néfastes associés à la consommation de cannabis est compliquée par le panel apparemment croissant de produits à base de cannabis auxquels les consommateurs peuvent potentiellement accéder, produits qui peuvent inclure des produits comestibles, diverses formes de technologies de vapotage, des produits à forte teneur et divers dérivés de la drogue. Cette diversité peut avoir des conséquences sur le risque qu’une personne rencontre des problèmes du fait de sa consommation de cannabis, mais ces derniers sont mal maîtrisés. Cela reste donc un domaine qui nécessite davantage de recherche et une attention particulière des autorités de réglementation.
La surveillance et l’évaluation sont fondamentales pour mesurer l’incidence des changements apportés à la politique en matière de cannabis

Certains États membres de l’UE ont modifié, ou envisagent de modifier, leur approche de la réglementation de l’usage récréatif du cannabis, facilitant ainsi l’accès de certains consommateurs à cette drogue ou son accès à certaines conditions. En décembre 2021, Malte a légalisé la culture à domicile et la consommation en privé de cannabis, ainsi que les clubs de culture communaux à but non lucratif. En juillet 2023, le Luxembourg a légalisé la culture et la consommation à domicile pour un usage privé et, en février 2024, l’Allemagne a légalisé la culture à domicile et les clubs de culture de cannabis à but non lucratif. La République tchèque a également annoncé qu’elle prévoyait de mettre en place un système de distribution réglementé et taxé.
La culture, la vente et la possession de cannabis demeurent des infractions pénales aux Pays-Bas. Toutefois, la vente de petites quantités de cannabis à des adultes (âgés de plus de 18 ans) dans des «coffeeshops» est tolérée depuis des décennies. L’un des objectifs politiques de cette tolérance consistait à distinguer le marché du cannabis du marché des autres drogues. Un des problèmes que pose cette approche est que le cannabis vendu dans les coffeeshops provient du marché illégal et que les groupes criminels tirent donc profit de ce commerce. Pour résoudre ce problème, les Pays-Bas testent un modèle de chaîne fermée d’approvisionnement en cannabis, par lequel le cannabis vendu dans les coffeeshops est produit dans des installations réglementées.
En Europe et ailleurs, le débat public et politique animé actuel sur la manière dont le cannabis devrait être réglementé est susceptible de se prolonger encore. Les marchés commerciaux conséquents pour cette drogue en Amérique du Nord et ailleurs stimulent déjà l’innovation et influencent probablement indirectement la gamme plus large de produits à base de cannabis désormais disponibles sur le marché européen. La direction que prendront les futures politiques européennes n’est pas clairement définie. Ce qui est clair, cependant, c’est que toute élaboration de politiques dans ce domaine doit être accompagnée d’une évaluation de l’incidence de tout changement qui serait introduit. Ce type d’évaluation dépendra de l’existence de données de référence fiables, soulignant une nouvelle fois la nécessité d’améliorer notre suivi des habitudes actuelles de consommation de la drogue illicite la plus consommée d’Europe.
L’évolution des marchés du cannabis crée de nouveaux défis pour les politiques en matière de drogue

Les produits à base de cannabis disponibles en Europe sont de plus en plus diversifiés. Ce phénomène est avéré pour le marché des substances illicites. Il en va de même pour le marché de consommation, sur lequel apparaissent des produits qui contiennent de faibles taux de THC, ou d’autres substances qui peuvent être dérivées de la plante de cannabis (le CBD par exemple), voire les deux. Sur le marché des substances illicites, la disponibilité d’extraits et de produits comestibles à forte teneur est particulièrement préoccupante et a été associée à des cas de toxicité aiguë dans les services d’urgence des hôpitaux. En outre, il est à craindre que certains produits vendus sur le marché illicite en tant que cannabis puissent être frelatés avec des cannabinoïdes de synthèse fortement dosés.
Certains cannabinoïdes semi-synthétiques sont également apparus récemment sur le marché commercial dans certaines régions d’Europe. Le cannabinoïde semi-synthétique le plus couramment rencontré est probablement l’hexahydrocannabinol (HHC); cependant, l’hexahydrocannabiphorol (HHC-P) et le tétrahydrocannabiphorol (THCP) ont fait leur apparition dans certains États membres de l’UE ces derniers temps. Ces substances sont vendues en tant que substituts prétendument «légaux» au cannabis, ce qui vient complexifier les enjeux réglementaires dans ce domaine. Si l’on ne connaît pas bien les effets du HHC chez l’homme, des inquiétudes ont été soulevées à mesure que des études sont parues, y compris certains rapports faisant état de liens avec la psychose. Des cas d’intoxication chez les enfants dus à la consommation de produits comestibles contenant des HHC ont également été signalés.
La cocaïne et les stimulants de synthèse jouent désormais un rôle plus important dans les problèmes de drogue en Europe
Pour la sixième année consécutive, des quantités record de cocaïne ont été saisies en Europe

Des quantités record de cocaïne ont de nouveau été saisies par les États membres de l’UE en 2022, pour un total d’au moins 323 tonnes. Les saisies européennes dépassent désormais celles effectuées par les États-Unis, un pays considéré de tout temps comme l’un des plus grands marchés de cette drogue. La cocaïne emprunte divers itinéraires pour entrer en Europe, mais le trafic de grandes quantités de cocaïne par les ports maritimes d’Europe, dans des conteneurs maritimes intermodaux, demeure un facteur important de sa grande disponibilité.
Le trafic de substances illicites est très dynamique et s’adapte rapidement aux évolutions géopolitiques, aux conflits régionaux et aux changements dans les itinéraires commerciaux. On estime que l’évolution de la situation en Colombie, au Brésil et en Équateur a contribué à l’intensification observée du trafic de cocaïne vers l’Union européenne. Comme les mesures d’interdiction ont été renforcées aux principaux points d’entrée des drogues connus, les trafiquants semblent de plus en plus cibler des ports de plus petite envergure dans d’autres pays de l’UE et des pays limitrophes de l’Union européenne, où des mesures dissuasives peuvent être appliquées avec moins de rigueur. Certains pays du nord de l’Europe, dont la Suède et la Norvège, ont fait état de saisies record de cocaïne dans les ports maritimes en 2023, ce qui laisse à penser que tous les points d’entrée dans l’Union européenne sont désormais devenus vulnérables.
Les sites de production de cocaïne en Europe révèlent comment les groupes de trafiquants innovent pour éviter d’être détectés

La découverte régulière de laboratoires de transformation de la cocaïne à grande échelle dans toute l’Europe, notamment en Belgique, en Espagne et aux Pays-Bas, révèle la manière dont les réseaux criminels transnationaux des deux côtés de l’Atlantique travaillent ensemble pour mettre au point de nouvelles méthodes de trafic de la cocaïne à destination de l’Europe. Tel est ce qui ressort de l’utilisation d’équipements spécialisés et de la participation de chimistes experts en matière de dissimulation et de transformation de la cocaïne. La transformation de cocaïne en Europe implique généralement l’extraction secondaire de la cocaïne qui a été incorporée dans d’autres matériaux afin de réduire le risque de détection lorsqu’elle est dissimulée parmi des cargaisons commerciales de biens légitimes. Ces méthodes de trafic vont de la simple imprégnation de la cocaïne dans un matériau à des dissimulations chimiques plus sophistiquées, par lesquelles la drogue est incorporée dans une variété de plastiques, de polymères ou de complexes métalliques.
En outre, désormais, la pâte de coca et la cocaïne base font également l’objet d’un trafic vers l’Europe; les étapes finales de leur transformation en chlorhydrate de cocaïne ont lieu dans des laboratoires clandestins. Si cette situation reste inexpliquée, il a été suggéré qu’elle pourrait être une réponse à la pénurie relative des produits chimiques de transformation de la cocaïne en Amérique latine et à l’avantage économique à contrôler les étapes finales du processus de production en Europe.
Les conséquences sanitaires de la disponibilité accrue de la cocaïne sont de plus en plus visibles

Après le cannabis, la cocaïne représente la substance illicite la plus consommée en Europe. Un nombre croissant de signes donnent à penser que le fait que cette drogue soit toujours disponible en grande quantité a des répercussions négatives grandissantes sur la santé publique en Europe. Bien que les données permettent d’observer une grande hétérogénéité géographique, la cocaïne représente globalement la deuxième substance illicite la plus fréquemment mentionnée, à la fois par les personnes qui s’adressent pour la première fois aux services de traitement de la toxicomanie et dans les informations plus limitées disponibles concernant les cas de toxicomanie aiguë pris en charge par les services d’urgence des hôpitaux. Bien qu’ils ne soient pas représentatifs au niveau national, les services européens de vérification des drogues indiquent que la cocaïne a été la substance la plus fréquemment contrôlée en 2022. Les données toxicologiques disponibles suggèrent que cette drogue a été impliquée dans environ un cinquième des décès par surdose en 2022, souvent en combinaison avec d’autres substances. Qui plus est, dans la mesure où la consommation de cocaïne peut aggraver les problèmes cardiovasculaires sous-jacents, qui sont une cause majeure de décès en Europe, il est probable que la contribution globale de cette drogue à la mortalité ne soit pas suffisamment reconnue.
Les résidus de cocaïne décelés dans les eaux usées des municipalités ont également augmenté dans deux tiers des villes disposant de données pour 2023 et 2022. Ces données, combinées à d’autres informations, suggèrent que la cocaïne étant de plus en plus disponible, sa répartition géographique et sociale s’est également accrue. Il est particulièrement préoccupant de constater que, dans certains pays, la consommation de cocaïne semble être en hausse parmi les groupes les plus marginalisés. Cela va à l’encontre de la perception du public qui estime que cette drogue est plus couramment consommée par des personnes aisées et socialement intégrées. Fumer et s’injecter de la cocaïne vont de pair avec des problèmes de santé plus graves que l’insufflation nasale; c’est pourquoi il est inquiétant de constater que l’injection de cocaïne et la consommation de crack sont en augmentation dans un certain nombre de pays. Le crack à fumer est une forme de drogue associée à des modes de consommation plus problématiques et à une utilisation par des groupes plus marginalisés. Comme indiqué ailleurs dans le présent rapport, au cours des dernières années, l’injection de cocaïne a été associée à un certain nombre de flambées localisées de VIH en Europe.
L’Europe reste un important producteur de drogues de synthèse

Si la surveillance des activités illicites demeure difficile, les informations disponibles suggèrent que l’ampleur et la complexité de la production de substances illicites en Europe continuent de croître. En 2022, des centaines de laboratoires de production de drogues de synthèse ont été démantelés dans l’Union européenne. Ces sites produisaient diverses substances, dont de l’amphétamine, de la méthamphétamine, des cathinones de synthèse et de la MDMA. Des laboratoires servant aux étapes finales de la production d’héroïne ont également été découverts. En outre, la détection régulière, ces dernières années, de sites distincts pour la production, l’extraction, la coupe et le conditionnement de la cocaïne évoque que la production de cocaïne secondaire est désormais bien en place dans certaines régions d’Europe, ce qui facilite le recours à des méthodes innovantes de dissimulation chimique et de trafic de cette drogue en Europe.
L’innovation dans les processus de production ressort également de certaines saisies récentes de produits chimiques qui peuvent être utilisés pour produire les produits chimiques précurseurs nécessaires à la production d’amphétamines, de méthamphétamines et de MDMA, contournant ainsi les contrôles en place visant à réduire la disponibilité de ces drogues.
La difficulté en la matière réside dans le fait que le recours à un ensemble plus diversifié de produits chimiques et l’introduction de nouvelles voies de synthèse chimique signifient que les douanes, les services répressifs et les réglementations existantes peuvent avoir du mal à suivre le rythme de l’évolution du marché. Par ailleurs, dans les endroits où sont produites les drogues de synthèse illicites, on observe une conscience accrue des risques pour la santé publique et l’environnement associés au déversement ou à l’élimination de volumes souvent importants de substances dangereuses utilisées dans le processus de production des drogues.
La production et le trafic de méthamphétamines mettent en évidence le potentiel d’augmentation de la consommation en Europe

Les problèmes liés à la méthamphétamine semblent s’aggraver à l’échelle mondiale, et ce stimulant de synthèse contribue largement aux effets néfastes de la drogue dans de nombreuses régions du monde. En Europe, à l’exception notable de quelques pays, la méthamphétamine représente un stimulant relativement peu consommé. Cependant, les tendances en matière de drogues sont de plus en plus dynamiques et peuvent évoluer rapidement. Il est donc inquiétant que certains signaux indiquent que la consommation de méthamphétamines pourrait se propager dans un nombre plus important de pays, même si les niveaux globaux de consommation restent faibles. La poursuite avérée de la production en Europe constitue un autre sujet de préoccupation. Si le nombre de sites de production de méthamphétamines démantelés a légèrement diminué en 2022, ces chiffres globaux fluctuent d’une année sur l’autre, car ils renvoient principalement à de nombreux «laboratoires-cuisines» de petite envergure. La production de faibles volumes de méthamphétamines destinée à la consommation locale est un phénomène que l’on observe depuis longtemps dans certaines régions d’Europe, comme en République tchèque, avec des populations de consommateurs bien établies. Ces derniers temps, cependant, on constate de plus en plus l’existence d’installations à plus grande échelle, souvent situées ailleurs en Europe, qui ont produit cette drogue en grandes quantités en vue de l’exporter vers des marchés extérieurs à l’UE.
Les saisies de dérivés glycidiques du BMK, un précurseur utilisé dans la production de méthamphétamines à grande échelle, ont considérablement augmenté en 2022, tandis que de nouveaux produits chimiques de substitution à partir desquels le BMK peut être fabriqué ont également été saisis. Qui plus est, d’importants volumes d’acide tartrique ont continué d’être saisis. L’acide tartrique est utilisé dans la production de méthylamphétamine, une forme puissante et recherchée de méthamphétamine (pour obtenir les «cristaux de meth»). Considérées dans leur ensemble, ces informations suggèrent que la production à grande échelle de méthamphétamines est désormais établie dans l’Union européenne. Pour l’heure, la production à une telle échelle semble être principalement destinée à l’exportation vers des marchés non européens. C’est inquiétant en soi, mais cela engendre également un risque de voir la consommation de cette substance se propager dans l’Union européenne, si les conditions du marché devaient s’y prêter.
Les cathinones de synthèse représentent une menace croissante
La nature dynamique du marché européen des drogues est mise en évidence par la hausse du nombre de signalements de production et de consommation de cathinones de synthèse, une catégorie de drogues relativement nouvelle pour l’Europe. Les données rapportées ici continuent de témoigner du trafic de grandes quantités de cathinones de synthèse vers l’Europe à partir de pays sources tels que l’Inde. Dans le même temps, un nombre grandissant d’éléments témoignent d’une production dans l’Union européenne, et plus particulièrement en Pologne. La taille et l’envergure des sites de production démantelés par les services répressifs varient de «laboratoires-cuisines» relativement petits à des sites capables de produire de grandes quantités de ces substances. Compte tenu des volumes de produits chimiques précurseurs désormais saisis et de l’interception de substances chimiques de substitution non réglementées, il semble probable qu’une production à grande échelle, destinée à la fois au marché européen et à des marchés extérieurs, soit en cours.
Les évolutions dans le secteur des opioïdes posent de nouveaux problèmes tant en matière de politiques de lutte contre les drogues qu’en matière de modèles de réponse.
La présence de multiples substances dans la plupart des décès dus aux opioïdes mérite une considération plus grande

L’observation selon laquelle les habitudes de consommation de drogues deviennent à la fois plus dynamiques et plus complexes est à nouveau mise en exergue dans notre analyse des décès liés à la consommation de drogues, parfois appelés «décès par surdose». Les opioïdes restent le groupe de substances les plus couramment impliquées. Cependant, elles sont souvent combinées à d’autres substances, ce qui prouve que les tendances de polyconsommation jouent un rôle important dans les effets néfastes liés à la drogue en Europe. Les benzodiazépines, l’alcool ou la cocaïne, par exemple, sont souvent mentionnés au même titre que les opioïdes dans les données toxicologiques disponibles, et il est probable que la consommation combinée de ces différentes catégories de substances soit un facteur important, mais pas toujours suffisamment reconnu, pour comprendre et réagir à la mortalité liée à la drogue.
À l’échelle de l’UE, si les récentes tendances des décès impliquant des opioïdes semblent stables, la proportion de décès dans les groupes d’âge plus élevé est en augmentation. On estime que l’héroïne a été impliquée dans plus de 1 800 décès en 2022 dans l’Union européenne, et qu’elle reste la drogue la plus fréquemment identifiée dans les décès liés aux opioïdes dans certains pays d’Europe occidentale. Néanmoins, les données disponibles suggèrent que l’héroïne n’est présente aujourd’hui dans la majorité des décès par surdose que dans une minorité de pays, d’autres opioïdes et d’autres substances jouant un rôle plus important. Dans l’ensemble, la situation semble plus hétérogène que par le passé, les opioïdes autres que l’héroïne, dont la méthadone et, dans une moindre mesure, la buprénorphine, les antalgiques contenant des opioïdes et d’autres opioïdes de synthèse plus innovants étant associés à une proportion considérable des décès par surdose dans certains pays.
Les données disponibles suggèrent que, dans certains pays, de plus en plus de décès impliquent des stimulants. Cependant, il est difficile d’interpréter ces données, à la fois parce qu’il est probable que les décès liés aux stimulants soient sous-déclarés et parce que les stimulants sont souvent impliqués dans des décès où d’autres substances, dont des opioïdes, sont également présentes.
L’importante menace pour la santé publique des opioïdes de synthèse très puissants constitue un sujet d’inquiétude grandissant.

Les décès liés à la consommation d’opioïdes constituent un problème de santé publique important en Europe; toutefois, ils ne représentent actuellement qu’une petite fraction du nombre de décès associés à cette catégorie de substances rapportés en Amérique du Nord. Les États-Unis et le Canada sont tous deux confrontés à une urgence de santé publique causée par les opioïdes de synthèse, principalement par les dérivés du fentanyl. La situation en Europe est très différente. Même à supposer une certaine sous-déclaration, seuls 163 décès ont été liés aux dérivés du fentanyl en 2022. Ces décès incluent également les décès associés au fentanyl détourné de son usage médical plutôt qu’obtenu sur le marché des substances illicites.
Malgré cette différence d’échelle, il est de plus en plus à craindre que des opioïdes de synthèse très puissants fassent progressivement leur apparition sur le marché européen des drogues et génèrent des préjudices. En outre, même si le contexte nord-américain est différent, il constitue un avertissement sur la rapidité avec laquelle les tendances en matière de consommation d’opioïdes peuvent évoluer, avec des répercussions dramatiques sur la santé publique. Il est donc inquiétant de constater que 81 nouveaux opioïdes de synthèse ont été signalés dans le système d’alerte précoce de l’UE depuis 2009, dont sept rien qu’en 2023. Six d’entre eux étaient des nitazènes très puissants. Les nitazènes ont été signalés pour la première fois à l’EMCDDA vers 2019. Depuis lors, 16 nitazènes ont été recensés en Europe, la majorité des pays ayant détecté l’une de ces substances sur leur territoire.
Apparition de nitazènes déjà associés à des effets néfastes dans certains pays

Les nitazènes ont été vendus dans des préparations semblables à de l’héroïne de rue, ou en ligne sous le nom d’«héroïne de synthèse», et sont également apparus sous la forme de comprimés vendus abusivement comme des opioïdes à visée thérapeutique ou d’autres médicaments. Des cas de mélanges à fumer frelatés aux nitazènes ont également été signalés. Ces drogues ont été associées à une hausse du nombre de décès dus à la drogue en Estonie et en Lettonie en 2023, pays dans lesquels elles représentent aujourd’hui une part importante des décès par surdose. Des foyers localisés d’intoxications ont également été signalés en Irlande et en France en 2023. En Irlande, les nitazènes ont été vendus abusivement comme étant de l’héroïne, ce qui a engendré de multiples surdoses, et ont également été impliqués dans des surdoses dans deux prisons en 2024. Au-delà des frontières de l’Union européenne, les nitazènes ont été associés à des surdoses de drogues en Australie, en Amérique du Nord et au Royaume-Uni. À ce jour, ces substances n’occupent pas de place prépondérante dans les données systématiquement disponibles au niveau de l’UE. Toutefois, en raison de leur forte puissance et de leur caractère nouveau, il est à craindre que les nitazènes ne soient pas systématiquement détectés dans les procédures couramment employées d’analyses toxicologiques post-mortem. Cela ouvre la porte à la possibilité que le nombre de décès ou d’intoxications non mortels attribués à ces substances pourrait être sous-estimé.
Ces évolutions interviennent dans le contexte d’autres signaux récents de changements inquiétants sur le marché des opioïdes en Europe. Il s’agit notamment de l’émergence, en 2021, de la «drogue du zombie», dans laquelle des opioïdes de synthèse sont mélangés à de la xylazine, un sédatif et analgésique vétérinaire, et de l’«héroïne violette», en 2022, dans laquelle des opioïdes de synthèse sont mélangés à de nouvelles benzodiazépines (telles que le bromazolam). Ces mélanges sont couramment détectés dans certaines régions d’Amérique du Nord, où ils ont été associés à une série de problèmes de santé.
Nouveaux enjeux pour la politique, la pratique et la recherche

L’émergence de nouveaux opioïdes de synthèse innovants et très puissants implique de nouveaux enjeux politiques et sur le plan des pratiques en matière de drogues. Elle met également en évidence d’importantes lacunes en matière de connaissances, qui doivent faire l’objet de recherches. Bon nombre de ces substances ne sont pas soumises au contrôle des drogues lorsqu’elles apparaissent pour la première fois. Sur ce point, l’Europe a la chance d’avoir mis en place, par l’intermédiaire de son système d’alerte précoce, un mécanisme accéléré d’identification, d’évaluation des risques et de contrôle des drogues. Il est toutefois essentiel que les États membres encouragent ce mécanisme au moyen de mesures nationales appropriées. Actuellement, l’approvisionnement de la plupart des nouveaux opioïdes de synthèse semble être assuré par les pays asiatiques. En conséquence, le suivi multilatéral sera probablement important. Il a été établi qu’une certaine production de dérivés du fentanyl est réalisée en Europe, mais de façon limitée jusqu’à présent. Toutefois, les obstacles techniques à la production de ces substances sont relativement faibles, et il est donc impératif d’examiner ce qui pourrait constituer des mesures efficaces pour empêcher une production à grande échelle de ces substances au sein de l’Union européenne.
L’expérience récente au sein de l’Union européenne a démontré que l’émergence soudaine d’opioïdes de synthèse puissants peut donner lieu à de multiples intoxications sur une courte période, ce qui s’accompagne du risque de submerger les services locaux. La résilience dans ce secteur peut être renforcée par la mise en place d’un plan de réaction rapide multiagences, incluant une composante efficace de communication des risques afin d’alerter à la fois les personnes à risque et les services de première ligne. Par ailleurs, les modèles de réponse en la matière doivent être élargis de façon à tenir compte du fait que, puisque ces substances ont été vendues en tant que mélanges ou dans des mélanges avec d’autres substances, la population à risque ne se limite pas nécessairement aux personnes ayant des antécédents de consommation d’opioïdes. La capacité à identifier rapidement la présence d’opioïdes très puissants sur les marchés locaux des drogues sera également importante. L’une des exigences essentielles des modèles de réponse dans ce domaine consistera à veiller à ce qu’un approvisionnement suffisant en naloxone antagoniste des opioïdes soit disponible pour les intervenants de première ligne, tels que les policiers, les ambulanciers et les prestataires de services à bas seuil, et à ce que ces derniers soient autorisés à administrer cette substance en cas de nécessité. Enfin, notre base d’informations factuelles en Europe sur ce qui constitue une réponse efficace aux problèmes liés aux opioïdes s’appuie largement sur notre expérience historique de la réponse aux problèmes liés à l’héroïne. Il est donc urgent de mener des recherches pour évaluer dans quelle mesure nos modèles de réponse actuels peuvent nécessiter des ajustements de sorte à rester adaptés à leur finalité face à la disponibilité d’opioïdes plus innovants et très puissants, en particulier si ces substances apparaissent dans des mélanges avec d’autres substances comme la xylazine.
Une baisse de la disponibilité de l’héroïne pourrait-elle ouvrir la voie à un marché plus important pour les opioïdes de synthèse?

En avril 2022, les talibans ont annoncé l’interdiction de la culture du pavot à opium. Une interdiction similaire imposée en 2001, bien que de courte durée, avait conduit à l’introduction sur le marché européen de substances de substitution, notamment de stimulants et d’opioïdes de synthèse. Ces changements ont été de courte durée dans la plupart des pays, mais des changements à long terme sur le marché des opioïdes avaient été observés dans un petit nombre de pays. L’Afghanistan étant la principale source de l’héroïne consommée en Europe, la récente interdiction de l’opium a donné lieu à des spéculations selon lesquelles elle pourrait entraîner une pénurie d’héroïne à l’avenir, ce qui pourrait donner lieu à une augmentation de l’offre des opioïdes de synthèse et de leur consommation en Europe.
L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime que la production d’opium a chuté de 95 % en 2023. Malgré de nombreuses incertitudes sur ce sujet, des données semblent indiquer que l’Afghanistan dispose encore d’un stock important d’opium. Cela pourrait aider à expliquer pourquoi nous n’avons pas constaté d’interruption des flux d’héroïne vers l’Union européenne. Cependant, il est possible que le marché ait fait l’objet de certains ajustements en réponse à une hausse déclarée des prix de l’opium en Afghanistan. Au moment de la rédaction du présent document, il est encore trop tôt pour affirmer si oui ou non l’interdiction de production d’opium en vigueur sera maintenue dans le temps. Il serait néanmoins prudent de se préparer à une éventuelle pénurie d’héroïne pour la fin 2024 ou 2025. Une réponse immédiate consisterait notamment à s’assurer que suffisamment de places soient disponibles pour traiter l’addiction aux opioïdes des personnes qui sollicitent de l’aide. Il serait également important de surveiller de près si les altérations dans la chaîne d’approvisionnement en héroïne ont une incidence sur la disponibilité ou la consommation d’autres substances. Les substances à prendre en considération incluent les opioïdes de synthèse à forte teneur, mais aussi des substances plus connues, telles que les stimulants.
Le Myanmar pourrait-il remplacer l’Afghanistan comme source d’héroïne pour l’Europe?
Depuis longtemps, le Myanmar représente une source importante d’opium et d’héroïne, mais généralement pas pour les marchés européens. L’héroïne produite au Myanmar ferait l’objet d’un trafic à destination de divers pays d’Asie et d’Océanie. Après une période de déclin, la culture de l’opium aurait augmenté au cours de ces trois dernières années. L’ONUDC estime que le Myanmar a produit 1 080 tonnes d’opium en 2023, soit une hausse de 36 % par rapport à 2022; cependant, ce volume reste encore très inférieur aux quantités produites en Afghanistan ces dernières années. Compte tenu de la valeur potentielle de cette culture pour les trafiquants lorsqu’elle est transformée en héroïne, et de l’intensification des flux commerciaux maritimes entre l’Asie du Sud-Est et l’Europe, il y a potentiellement un risque qu’à l’avenir, une partie de cette production soit détournée pour alimenter des marchés rentables en Europe. Si la surveillance de toute apparition d’héroïne en provenance de cette région est donc justifiée, elle reste cependant difficile compte tenu du contexte sécuritaire au Myanmar, qui est en proie à la guerre civile depuis 2021. Toutefois, à court ou moyen terme, il semble peu probable que l’héroïne produite dans cette région remplace les volumes d’héroïne fournis jusqu’alors par l’Afghanistan sur le marché européen.
En bref
Données sources
Les données utilisées pour générer les infographies et graphiques de cette page sont disponibles ci-dessous.
Tranche d’âge | Substance | Consommation au cours de l’année écoulée (en millions) | Consommation au cours de l’année écoulée (en %) | Estimation nationale la plus basse (en %) | Estimation nationale la plus élevée (en %) | Consommation au cours de la vie (en millions) | Consommation au cours de la vie (en %) |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Adultes (15 à 64 ans) | Amphétamines | 2.3 | 0.8 | 10.3 | 3.6 | ||
Jeunes adultes (15 à 34 ans) | Amphétamines | 1.5 | 1.5 | 0 | 4 | ||
Adultes (15 à 64 ans) | Cannabis | 22.8 | 8 | 85.4 | 29.9 | ||
Jeunes adultes (15 à 34 ans) | Cannabis | 15.1 | 15 | 3.4 | 21.5 | ||
Adultes (15 à 64 ans) | Cocaïne | 4 | 1.4 | 15.4 | 5.4 | ||
Jeunes adultes (15 à 34 ans) | Cocaïne | 2.5 | 2.5 | 0.5 | 5.5 | ||
Adultes (15 à 64 ans) | MDMA | 2.9 | 1 | 12.3 | 4.3 | ||
Jeunes adultes (15 à 34 ans) | MDMA | 2.2 | 2.2 | 0.3 | 9.8 |
Caractéristiques | Valeur |
---|---|
Usagers d’opioïdes à haut risque | 860 000 |
Traitement par agonistes opioïdes (nombre de personnes bénéficiant de ce traitement) | 513 000 |
Opioïdes: proportion des demandes de soins (en %) | 24 |
Autres drogues: proportion des demandes de soins (en %) | 76 |
Opioïdes: proportion des surdoses mortelles (en %) | 74 |
Autres drogues: proportion des surdoses mortelles (en %) | 26 |